L’individu
Dès la fin du XIXème, on parle de l’individu, comme d’un produit de la modernité. Pour George H. Mead, l’individu est composé de deux instances : le Je ; notre identité personnelle, notre conscience de nous-même, et le Moi ; qui représente notre identité sociale, face à autrui. Les deux sont en interaction, et régulent notre conduite à tenir. Le Moi est imprégné de tous les échanges que nous avons avec nos cercles sociaux et des réflexions, des idées qui en émanent et qui deviennent nôtres. Notre époque contemporaine nous incite à développer le Je : notre part individuelle, et nous demande d’être dans une réflexivité, une remise en question permanente de nos valeurs, de nos actes, etc. Il en ressort une injonction à s’autonomiser, à se prendre en charge au maximum, à se responsabiliser et à s’émanciper.1
Les institutions
« En amont des individus, existent de puissantes machineries institutionnelles travaillant à les socialiser en référence à quelques principes unificateurs : la raison, l’intérêt économique et général »2. « Les rôles sociaux que l’on va tenir ont des références universalisantes. Les fonctions en appellent à un idéal extérieur aux individus qui les exercent. »3 De ce point de vue, on constate que finalement la liberté individuelle est restreinte, que nos identités nous sont imposées, et qu’on ne peut échapper à notre destin social.
L’identité
George Mead disait : « Toute construction identitaire suppose le regard d’autrui : le moi et la conscience de soi se développent au fil des interactions avec d’autres individus »4.Le regard d’autrui aura forcément une influence sur la manière dont on va se percevoir soi-même. C’est aussi à travers nos échanges avec les autres que l’on se découvre, ce que François de Singly a nommé l’effet Pygmalion. Sans l’autre on ne peut savoir qui on est ; « il est révélateur de l’identité latente »5. Le regard de l’autre nous donne la foi en nous-mêmes.
L’individualisation
Paradoxalement, alors que l’individu se doit de s’individualiser, il n’a jamais été autant standardisé (tourisme de masse, look des ados.). N’est-ce pas plutôt une forme d’aliénation que ce conformisme ? Pour R. L’Ecuyer : « le soi peut se définir comme un ensemble de caractéristiques, (goûts, intérêts, qualités, défauts, etc.) de traits personnels (dont les caractéristiques corporelles), de rôles et de valeurs, etc., que la personne s’attribue, évalue parfois positivement et reconnait comme faisant partie d’elle-même. »6 « Le soi constitue un système éminemment adaptatif, qui se défend, se corrige et s’améliore pour mieux s’adapter et même se dépasser »7.
De nos jours, la société change ; « les institutions se fragilisent et se dispersent », elles ne fournissent plus aux individus que des fragments d’identité. Les ancrages, la position sociale, et les rôles familiaux ne font plus le noyau central des identités. Cela apporte de l’insécurité car c’est alors à chacun de se constituer son identité individuelle et de faire ce travail, contraignant peut-être, de « réflexivité identitaire ajustée à cet impératif de construction-découverte de soi 8 ». Ces mutations sociales vont offrir à la personne une nouvelle place, centrale, où les potentialités individuelles sont mises en avant. C’est un moyen d’être acteur de sa vie, d’avoir une consistance dans son identité, d’être autonome, et de pouvoir se distinguer des autres. Ce n’est plus la liberté qui va primer, on ne va plus demander à la personne d’être dans l’individuation, ou l’accomplissement d’un rôle ; mais dans la construction de son être singulier, différent, et de ne pouvoir être interchangeable avec personne. 9 Être un individu, de nos jours, c’est « partir à la recherche de soi »10.
Ne nous leurrons pas, la norme sociale reste cependant quelque chose qui est imposé à tous, et on peut donc s’interroger sur cette autonomie et cette liberté auxquelles on veut nous faire croire. Le manque de rites de passages amène par exemple les jeunes à se tourner vers leurs pairs pour acquérir leur féminité, féminité qui est « fortement conditionnée par des modèles stéréotypés véhiculés par l’industrie des loisirs »11. Même si l’école, leurs activités sportives, etc. les aident à relativiser ces modèles que la société véhicule, « les petites filles d’aujourd’hui demeurent très majoritairement poussées sur la voie de la reproduction sociale et culturelle, de l’imitation de leurs héroïnes médiatiques favorites, de schémas de pensée qui limitent bien souvent leurs horizons »12. Il me semble que cela demande donc un véritablement cheminement personnel pour arriver à se détacher de ce que véhicule notre société moderne. De même, se rapprocher, apprendre des femmes d’autres générations ne semble plus si évident pour les jeunes filles d’aujourd’hui (brouillage des classes d’âge, etc.). Certains sont mieux armés que d’autres pour réussir cette individualisation, car cela demande des ressources sociales. Comment réagissent ceux qui sont dans une précarité économique, qui les empêche d’accéder à l’autonomie, à toute forme de réalisation de soi, à devenir sujet finalement ? Cela peut déboucher sur un « individualisme de la survie », avec le sentiment de vivre une inégalité sociale.
Les incidences de l’individualisation sur la famille
La famille est de nos jours plus marquée par un individualisme : avec la perte des repères d’autorité d’autrefois, les modes de gouvernance changent, on ne sait plus trop ce que veut dire être père ou mère. « Le déclin des rôles a pour corollaire la montée en puissance des personnes, des personnalités »13, c’est à chaque membre de la famille de trouver sa place. Pour cela, il est mal vu d’exercer quelque forme « de domination et d’aliénation que ce soit, y compris celles fondées sur l’amour et l’affection », comme par exemple vouloir se « sacrifier » pour ses enfants ou son mari 14. Avec leur émancipation, les femmes peuvent maintenant avoir une vie en dehors de la famille, et gérer leur corps comme bon leur semble.
1 Martucceli D., De Singly F., les sociologies de l’individu, éditions Armand Colin, 2009, p.123
2 Le Bart C., L’individualisation, Paris, Science Po, Les Presses, 2008, p. 266
3 Ibid, p. 266
4 Ibid, p. 237
5 Ibid, p. 239
6 L’Ecuyer R., Le Développement du concept de soi, de l’enfance à la vieillesse, Presse de l’Université de Montréal, 1994
7 Martinot D., Le Soi, les approches psychosociales, Presse Universitaire de Grenoble, 1995, dans J-C Ruano-Borbalan, L’identité – l’individu, Le groupe, La société, Editions Sciences Humaines, 2009: p. 6
8 Le Bart C., op. cit., p.268
9 Le Bart C., op. cit., p. 267
10 Ibid, p.271
11 Monnot C., Petites filles : L’apprentissage de la féminité, éditions Autrement, (sept. 2013)
12 Ibid
13 Le Bart C., op. cit., p. 166
14 Ibid, p. 167