Il y a beaucoup à dire sur cette période de changement, de transformation et de questionnement pour le jeune. Mais, voyons surtout comment il va acquérir son autonomie et arriver à se séparer de ses parents.
Un adolescent, disait Françoise Dolto, « c’est comme un homard pendant la mue ; sans carapace, obligé d’en fabriquer une autre, et en attendant confronté à l’inconnu, à tous les dangers. Il est dans la découverte de lui, ressent mal être, révolte, tentations de la violence, de la drogue ou de la dépression…1 ».
L’image de soi ne correspond plus à la réalité, ce qui lui fait vivre de l’angoisse. Il s’en suit des changements dans ses comportements et attitudes psychiques qu’il doit apprendre à gérer. De nouveaux besoins vont émerger pour lui, celui de se reconnaitre, de se comparer aux autres, de s’accepter dans ce corps en mutation. Cela va entraîner une prise de distance, de la provocation, ou encore de la séduction. Il va se trouver des identités provisoires, ce qui l’aide à avoir une image plus acceptable de lui, ou au contraire il va maltraiter cette image. Avec ce fonctionnement, il se confronte aux jugements de ses parents, et est dans l’attente de leur positionnement devant le franchissement des limites.
Ce qui a été vécu par le passé pèse mais ne fige pas l’avenir pour autant. A l’adolescence, parents et enfants revivent des situations de la toute petite enfance. Le jeune cherche et pousse les limites et a besoin de pouvoir se les représenter aussi. Il a autant besoin d’être contenu, de régresser, de se rassembler, d’avoir un jardin secret, que de la compréhension de ses parents face à ses attitudes souvent contradictoires. C’est en l’acceptant tel qu’il est que les parents l’aident le plus, et aussi, en évitant que leurs histoires personnelles avec leurs propres parents n’interfèrent avec l’histoire de leur enfant 2. Car ainsi, se crée un climat de confiance entre parent et enfant, où le jeune a la possibilité de sentir lui-même s’il est capable de prendre un risque.
Deux principes fondent la construction de la personnalité et aident le jeune à devenir adulte sur le plan psychique. Le premier est le fait de pouvoir se nourrir des échanges relationnels entre l’environnement et lui-même, et d’avoir conscience de sa différence, notamment au niveau du sexe. Lorsque l’image de soi est négative intérieurement, il aura besoin de s’appuyer sur l’extérieur pour remonter l’estime de lui. Il aura alors des attentes très fortes de ses relations, de ses pairs. Le deuxième axe concerne l’acquisition de son autonomie. Cela en réfère au narcissisme et à sa capacité de réflexivité, c’est-à-dire de se voir, avec ses manques, sa finitude, pouvoir se comparer aux autres, etc.
« L’adolescent est un révélateur des contraintes dont nous héritons dans l’enfance […] en ce qui concerne le comportement, les phénomènes psychiques et les troubles de l’ordre d’une ‘héritabilité’»3. Son tempérament, et certaines de ses manières d’être et de réagir en dépendront. Certains sauront rebondir et ‘faire de leur vulnérabilité une chance’ pour développer leur potentialité, « ils auront connu le risque d’effondrement et la tentation de s’abandonner à la destructivité et de l’avoir surmontée ». D’autres au contraire, à risques comparables, vont se fermer à leurs potentialités et créativité pour en sortir appauvris. La différence est souvent due aux personnes ressources, sur lesquelles l’adolescent pourra, ou pas, s’étayer. En prenant de la distance par rapport à ses parents, il pourra se différencier, développer ses compétences, une assise narcissique et construire son identité, à condition d’avoir été assez nourri, et d’avoir eu des relations suffisamment bonnes avec eux. Là est le paradoxe, car plus l’adolescent a besoin de soutien et plus ce soutien sera une menace pour son autonomie et plus il aura le besoin de contrôler son environnement.
Pour s’affirmer, notamment vis à vis de ses parents, il va être dans l’opposition. La confrontation a le double avantage de permettre au jeune de se découvrir, et celui de s’appuyer sur la personne à qui il s’oppose, tout en restant en lien avec elle. Cet affrontement est aussi plus facile « que la prise de conscience et l’aménagement interne d’une relation d’ambivalence »4. Parallèlement, le jeune est avide d’autonomie, il veut se réaliser par lui-même et s’éloigner de ses parents. « On ne devient soi-même qu’en dehors de l’autre » 5. Le parent, face à cette attitude de l’adolescent, sera aidant s’il sait trouver sa place, laisser le champ au dialogue, tout en ménageant le narcissisme du jeune, et en étant dans le respect des sentiments qui se vivent pour les deux protagonistes.
La personnalité future se construit aussi avec la façon dont l’entourage a imaginé l’avenir de l’adolescent. Or, s’il y a confusion entre les désirs des parents et ceux du jeune, il peut y avoir perte d’identité pour le jeune ou annihilation de ses désirs pour être conforme à ceux de ses parents. Il peut alors, par des moyens indirects d’opposition mettre en échec ses compétences, et adopter des conduites à risque, être dans la répétition de comportements pathologiques pour trouver une confrontation et arriver à se différencier. Il aura le sentiment « qu’en se comportant ainsi, ‘c’est son choix’, et qu’il y trouve une sécurité bénéfique. Il ne perçoit pas que c’est une contrainte liée à la menace de se confondre à son objet d’attachement, la mère. 6».
L’adolescent a besoin de liberté, il doit affronter des situations nouvelles. L’adulte sera aidant s’il sait montrer à l’adolescent que s’ouvrir au plaisir, oser aller à la découverte du monde ne signifie pas perte de soi. Cela lui permet également de transformer son lien de contrainte à sa mère en lien de plaisir, en sachant prendre de la distance par exemple pour sortir du conflit œdipien. Mais cela lui demande d’être entouré de tuteurs qui sauront être attentifs à la réalité du moment et capables de se positionner, et de lui poser des limites car il n’est pas socialement et psychologiquement prêt pour mener une vie d’adulte. L’objectif étant « la restauration de la capacité de l’appareil psychique à assurer ses fonctions de protection de l’individu, c’est-à-dire parvenir à gérer les conflits intrapsychiques et à ne pas se laisser trop entraver par les contraintes internes et externes qui pèsent sur lui de façon qu’une partie au moins des ‘buts de la vie’ de l’individu aient une chance de se réaliser.7 »
Chacun des deux parents, sur le plan psychologique et physiologique a une part de féminin et de masculin en lui. Lorsque les adultes reconnaissent positivement leurs différences d’homme et de femme, c’est un atout pour le jeune qui peut alors à son tour s’en nourrir, intégrer ses parties féminines et masculines, et les transformer. Il n’est plus dans l’imitation mais dans la création de son identité propre. Son besoin de s’intégrer au monde des adultes passe par la découverte sexuelle, de l’autre sexe, de l’altérité. Il pourra la vivre comme une complémentarité, ou comme « le signe qu’il manquera toujours quelque chose ». « L’adolescence est un passage où l’on intègre la différence. »8
1 Dolto F., Dolto C., Percheminier C., Paroles pour adolescents, ou le complexe du homard, édition Hatier, Paris, 1989, p. 113
2 Jeammet P., op. cit.
3 Jeammet P., L’adolescence aujourd’hui entre liberté et contrainte, édition Eres, revue Empan 2007/2 (n°66), p.74
4 Ibid, p. 79
5 Jeammet P., Adolescences, 5° édition, Edition La Découverte, 2012
6 Jeammet P., L’adolescence aujourd’hui entre liberté et contrainte, op. cit. p. 79
7 Ibid p. 82
8 Jeammet P ., Adolescences, 5° édition, Edition La Découverte, 2012